En 2008-2009, j'étais tutrice CNED (préceptrice) de deux loulous au Mozambique, pendant que le troisième faisait la sieste. Là-bas, j'ai découvert tout un tas de merveilles et faits culturels, comme les "capulanas". Je vous copie-colle ci-dessous un article que j'avais écrit dans ma petite gazette (mail mensuel aux proches) à ce sujet.
"Une
capulana, c’est ce qu’on appelle « kanga » au Kenya ou encore
« pagne » en Afrique de l’Ouest, au Congo ou au Sénégal. C’est ainsi
une pièce de tissu d’environ 1.10x1.80m (si elle n’est pas coupée comme il
faut, elle perd son « âme ») aux multiples usages. Je vais [...] vous citer [...] un passage du roman de Paulina Chiziane sur la
polygamie, car elle donne une très bonne définition de la capulana :
« Un grand voyage est aussi mystérieux que les replis du destin.
C’est pour ça qu’on donne toujours ce conseil : femme, emporte toujours ta
capulana, pour te servir de couverture, s’il y a du soleil. Pour te
servir de linceul, si tu rencontres la mort. Pour couvrir ton lit, si tu
rencontres l’amour. Pour couvrir ton visage, si tu as honte. Pour couvrir ta
nudité, si jamais tu perds tes vêtements, et cacher ta honte aux yeux du monde.
Je suis venue pour un anniversaire, et j’ai fini dans le lit de l’amour
interdit. Je n’ai pas apporté de capulana. Comment vais-je essuyer ces
larmes, cette honte ? » (P. Chiziane : Le Parlement conjugal,
une histoire de polygamie, éd. Actes Sud, Arles, 2006, p.94.).
Ce passage montre bien que la capulana accompagne les Mozambicaines
dans tous les événements qui rythment leur vie : fiançailles, mariage,
enterrements (quand il s’agit de la perte du mari, la femme se couvre la tête
d’une capulana pour « couvrir ses larmes » ; toutes les autres
femmes de la famille portent une capulana du même motif), mais aussi dans son
quotidien. Ici, c’est flagrant : on voit des capulanas partout. Les dames
en portent en jupe, au dessus des autres vêtements pour les protéger, les
utilisent comme sac qu’elles transportent souvent sur la tête, enfin et
surtout : la capulana sert à porter les jeunes enfants sur le dos ou le
ventre (ce qui permet de donner facilement le sein). Quoi qu’elle fasse, la mère
porte son enfant dans la fameuse pièce de tissu : à la cuisine, au
champ, en faisant le ménage. A la maison, j’ai la chance de voir ce joli fait
culturel tous les jours avec Angelina qui porte Zelito sur son dos
régulièrement. De même, les rideaux et les nappes sont des
capulanas.
L’usage
des capulanas peut également être moins terre à terre. Par exemple, certaines
pièces de tissu, aux couleurs et motifs particuliers (noir, blanc et rouge,
soleils et triangles) sont exclusivement réservés aux « curandeiros »,
qui sont les sorciers et guérisseurs traditionnels, et font partie intégrante
de leurs accessoires pendant les cérémonies.
Par ailleurs, des noms sont donnés aux motifs qui ornent certaines
capulanas et ceux-ci sont souvent liés à des faits historiques ou grands
événements (« la capture de Ngungunhane » en 1895 ou encore
« l’invasion de sauterelles » qui s’est abattu dans le Sud du
Mozambique en 1934). Ainsi, quand une personne d’un certain âge montre ses
capulanas aux plus jeunes, c’est comme si elle lui donnait accès à des
documents historiques.
En
résumé, la capulana a une énorme charge symbolique. Pendant la colonisation, on
l’a même associée à la rébellion. Le poète Virgílio de Lemos a été emprisonné
pour avoir écrit en 1954 (je vous écris la version anglaise… Si vous voulez la version
portugaise, faites signe) :
« (…)
Ah ! So many unknown dead
the ones born later
shall not cry out in
humiliation
bayete-bayete-bayete
time will have replaced the
red and green kapulana
with kapulanas of many
colours. (…)»
Il
a bien sûr été accusé d’avoir manqué de respect au drapeau portugais. La
capulana a ainsi, de fil en aiguille, été élevé au rang de symbole de la lutte
contre la domination coloniale. De nos jours, si sa portée politique reste
limitée, elle est utilisée en période électorale où l’on imprime dessus les
symboles des partis, voire le portrait des candidats.
Si chaque femme au Mozambique possède au moins une
capulana, beaucoup d’entre elles s’habillent désormais aux
« calamidades », les marchés de vêtements de seconde main, qui sont
en fait des dons des pays européens, revendus à moindre coût. C’est ainsi que
la mode occidentale prend une place de plus en plus considérable au Mozambique,
comme dans tous les pays africains. Ce phénomène provoque d’une part une
évolution de la mode mozambicaine, qui emploie les capulanas dans la confection
de vêtements à la forme davantage « occidentale » (personnellement,
je me régale ! Je me suis déjà fait faire un certain nombre de jupes, pantalons,
tuniques en capulana !). Cependant, en ville, on ne trouve plus de femmes
qui travaillent dans le secteur des services en capulana. C’est pourquoi, à
force de développement, la capulana court le risque de disparaître au long
terme…"
Ces bijoux sont à voir dans ma boutique ALM... |
J'ai choisi de rendre hommage à ces tissus chatoyants et splendides en créant des bijoux qui s'inspire de motifs africains (reproduit notamment sur du plastique fou), où la perle de rocaille noire est centrale. J'ai également l'intention de faire des bijoux avec des biais de capulana (Liberty from Maputo, hihi), c'est une façon de retourner les choses : faire que le développement fasse la promotion de ces étoffes et n'en soit pas forcément la cause de disparition.
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